La politique culturelle en favorisant la construction de lieu de diffusion a oublié la création de lieux destinés à la fabrication. Le manifeste de l’atelier en commun engage la réflexion sur la place fondamentale de l’atelier pour la création artistique et de son accès libre pour chacun. L’atelier en commun est un espace consacré aux arts plastiques sur le principe des équipements publics comme le sont les piscines pour la natation et les bibliothèques pour la lecture dans chaque arrondissement. Le concept de l’atelier en commun applique à un atelier d’artiste, la métaphore de la piscine, où le sportif et le simple nageur se côtoient dans la même quête de bien être et de dépassement de soi.

 

Aujourd’hui, devant le manque d’ateliers disponibles et peu onéreux, nous avons tous besoin d’ateliers collectifs pour que chacun puisse développer sa propre expérience de l’art en toute liberté. L’atelier en commun est ouvert à tous «sans critères de sélection». En supprimant le poids des conditionnements culturels, sociaux et économiques, il propose à chacun, amateurs, émergents, outsiders, que l’on se sente artiste ou pas, débutants ou inconnus «sans hiérarchie» d’élaborer son parcours professionnel ou personnel. Son fonctionnement «en commun» va permettre les échanges, l’interaction, les transmissions de compétences et le croisement des processus de fabrication.

Comment chacun va acquérir sa propre liberté en comprenant qu’elle doit enrichir celle de l’autre et qu’elle ne s’arrête pas à celle de l’autre ? Même si l’atelier en commun s’adresse à ceux dont le métier est lié à la création artistique, la pratique de l’art ne se limite pas à quelques-uns ; c’est une épopée où se côtoient toutes les personnes qui y consacrent du temps. Le concept de l’atelier en commun, en se dépouillant de tous préjugés artistiques, définit ainsi un espace de «liberté créative». Parce que l’atelier est dédié uniquement à la fabrication, ce n’est pas un lieu d’exposition ni de spectacle. Les jugements de valeur, d’esthétique, de beauté, de ringardise ou d’excellence n’ont plus lieu d’être car on se trouve dans ce temps particulier où toutes les œuvres sont en cours de fabrication. Cette ouverture par l’accès à un atelier uniquement de fabrication, «sans jugement» permet à chacun d’être un sujet totalement libre dans un atelier où tout le monde s’inscrit dans le respect de la diversité de la création de l’autre. Cela permet de se retrouver dans une même famille avec des projections différentes sans forme d’exclusion. C’est rencontrer une reconnaissance personnelle en sortant de l’isolement dans une agora. Trouver matière à développer et enrichir son propre processus et exciter sa créativité au contact d’autrui.

Ou la production d’art est limitée à son marché ou elle est d’emblée universelle en traitant ce qui intéresse la position des hommes et des femmes par rapport au monde et à eux-mêmes.La pratique n’a besoin d’aucune autre justification que celle d’une nécessité intérieure dans une fonction réalisatrice de soi. C’est la pratique considérée pour elle-même. L’expérience joue un rôle fondamental sur la dynamique de ses possibilités créatrices quels que soient les types de préoccupations artistiques, amateurs ou professionnels. Les valeurs de l’expérimentation débordent des champs de l’esthétique. L’expérience pour elle-même, en déterminant d’autres champs d’actions par ses propres valeurs, développe d`autres approches : la libération de l’imaginaire qui ouvre à la recherche d’identité, la confiance en soi et l’émancipation de la personne. L’expérience artistique a une signification plus profonde, la métamorphose de soi. La culture ne se mesure pas uniquement en termes d’esthétismes, de traditions et de marchés mais aussi en fonction de la manière dont elle nous transforme.

Un atelier au service de tous où tous les types de préoccupations sans hiérarchie se rejoignent dans un atelier «en commun» où chacun est considéré comme partenaire privilégié, demande une forme et une organisation nouvelles. Un atelier, non au sens de la division comme on se partage un gâteau, mais au sens de la démultiplication comme on partage une aventure, celle de l’expérience de l’art. L’atelier en commun est un espace pour que les disciplines et les pratiquants se rencontrent. Le concept de l’espace en commun se définit ainsi : tout travail réalisé dans l’atelier se fait sous le regard des autres utilisateurs du lieu dans un espace sans cloisonnements. Cette forme favorise l’émulation entre les utilisateurs comme mode de travail : nous sommes tous alors éléments à part entière du dispositif à la fois en tant qu’émetteurs et en tant que récepteurs. Dans cette communauté, en permettant à chacun de se sentir reconnu par le regard de l’autre, nous nous confortons dans notre travail de création.

Comment apprendre à travailler ensemble en dépassant les intérêts personnels pour partager la pratique avec le plus grand nombre? Les pratiquants sont solidaires malgré l’espace limité. Le principe actif en est la pratique nomade de l’installation et la désinstallation de son espace de travail afin d’éviter de monopoliser l’espace pendant son absence. Ceci permet l’ouverture à tous, par rotation des projets. Ce critère d’adaptation détermine la composition de l’atelier. Par cet engagement, l’utilisation du temps et de l’espace peut alors être infini de “possible”. L’accueil des projets, dans toutes leurs dimensions avec une organisation de stockage uniquement des œuvres en cours, pour une utilisation simple, régulière ou ponctuelle, dans le cadre d’un projet espace-temps (résidence), d’une installation, de projets multimédias, d’une répétition (performance) se définit par des propositions mobiles. Un seul atelier pour tous, la mobilité des projets, la transversalité des fonctions, des espaces, la mutualisation des outils, la transparence des activités sont les principes de fonctionnement. Le travail résidant autant du processus de fabrication que du type de relation qu’elle implique avec autrui, l’atelier en commun a vocation à développer un “créé ensemble” comme une composante des processus de créations personnels. La répartition entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif se réalise équitablement grâce aux intérêts croisés.


L’atelier en commun est une œuvre artistique de transformation personnelle et collective. C’est une expérience culturelle solidaire à travers laquelle chacun trouve sa place singulière. La pratique de la solidarité conçue comme un échange lie les processus de création à un processus de vie. Le projet de l’atelier en commun se lance le défi d’une cohésion qui peut porter le travail individuel à un niveau d’une œuvre artistique active : la mise en œuvre pratique du droit à l’expression artistique pour tous dans des espaces de liberté créative où chacun peut rassembler son témoignage et affirmer son statut d’humain. Un art public par lequel les citoyens fabriquent leur propre culture.

 

Pierre Manguin, artiste plasticien,
président du 100 Atelier en commun


Le manifeste
L'atelier en commun, 2e étage du 100 rue de charenton